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vendredi 15 janvier 2010

Le piège de l'identité nationale

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John R. MacArthur   11 janvier 2010

Vers la fin de 2009, Nicolas Sarkozy a déclenché deux polémiques importantes en France — l'une en réponse à sa proposition de faire entrer Albert Camus au Panthéon, et l'autre à propos de sa tentative de définir «l'identité nationale».

Que ces deux sujets soient liés dans mes pensées ne veut pas dire que «l'Omniprésident», souvent ridiculisé pour ses actes et déclarations à première vue irréfléchies, ait lui-même calculé au même moment l'effet de ces deux controverses sur l'électorat. Ce qui est sûr, c'est que comme tout politicien, Sarkozy cherche toujours de vulgaires avantages déguisés en grande rhétorique. Le génie stratégique du président français est, quand cela lui est utile, de paraître aussi gauchiste que la gauche (par exemple sur la réglementation des banques) et aussi antiarabe que le Front national (au sujet de l'immigration).

Quel que soit son ultime objectif, les positions présidentielles sur Camus et «l'identité nationale» ont suscité de vives critiques par certains, qui décodent une mauvaise foi dans les tactiques astucieuses de l'Élysée. Du côté de l'extrême droite, Jean-Marie Le Pen a qualifié la possible canonisation de Camus de «choix électoraliste — celui d'un écrivain pied-noir à quatre mois des élections régionales [Le Pen est en tête de liste dans une région composée de beaucoup de pieds-noirs qui ont fui leurs pays lors de l'indépendance en 1962], dans lesquelles la majorité va probablement subir une lourde défaite», ce qui fait partie d'une campagne menée par le chef d'État pour «multiplier les gestes en faveur des catégories sociales qu'il pense être favorables au Front national».

Du côté de la gauche intellectuelle, Olivier Todd, biographe de Camus, a ironisé sur un président français de droite qui «s'apprête à rebarbouiller l'icône», alors que Camus était majoritairement à gauche dans ses prises de position publiques (sauf, notamment, sur l'indépendance de l'Algérie, où son point de vue ambigu avait beaucoup fâché la gauche).

Quant à l'identité nationale, Sarkozy a choisi comme tribune un journal de gauche traditionnel, Le Monde, pour disserter sur le vote en Suisse interdisant la construction de nouveaux minarets sur les mosquées. Profitant d'une nouvelle donne franchement antimusulmane dans un pays reconnu pour sa défense de la liberté religieuse, il a prestement exprimé sa tolérance envers «un tel rejet» des principes de tolérance soi-disant français et européens, bien que ce rejet «ne nous plaise pas», a-t-il ajouté. Surtout, croit le président français, il ne faut pas en vouloir au peuple suisse craignant «que leur cadre de vie, leur mode de pensée et de relations sociales soient dénaturés».

Tout en tenant à ce que ses «compatriotes musulmanes» puissent jouir «des mêmes droits que tous les autres à vivre leur foi», le président voulait «leur dire aussi que, dans notre pays, où la civilisation chrétienne a laissé une trace aussi profonde, où les valeurs de la République sont partie intégrante de notre identité nationale, tout ce qui pourrait apparaître comme un défi lancé à cet héritage et à ces valeurs condamnerait à l'échec l'instauration si nécessaire d'un islam de France qui, sans rien renier de ce qui le fonde, aura su trouver en lui-même les voies par lesquelles il s'inclura sans heurts dans notre pacte social et notre pacte civique».

Ouf! Beaucoup de mots simplement pour déstabiliser le Front national et contrarier la gauche (Martine Aubry, chef du Parti socialiste, a accusé son rival d'avoir fait «honte à la France en voulant opposer identité nationale et immigration»). Cependant, je trouve que Sarkozy, sans le faire exprès, nous a donné une belle occasion de prendre conscience de tendances françaises qui sont bien loin de l'esprit d'indulgence affiché dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen — la tradition antisémite, qu'elle soit lancée par la police de Vichy contre les Juifs pendant l'Occupation, qu'elle soit braquée par la police parisienne sur les manifestants algériens en 1961. Au lieu de se tortiller ainsi, le président devrait changer d'icône pour le Panthéon et remplacer la candidature de Camus par celle de Romain Gary.

Romancier aussi accompli que Camus, Gary (né Roman Kacew) a le mérite d'avoir été un immigrant juif qui, ayant fui avec sa mère l'antisémitisme polonais des années 20, a pu développer plus tard, au cours de sa carrière, une compassion remarquable pour les Maghrébins déshérités de la métropole. Dans La Vie devant soi, rédigé sous le pseudonyme d'Émile Ajar, Gary a créé le personnage original de Momo: jeune Arabe, fils d'une prostituée et d'un maquereau, qui se trouve placé en garde chez Mme Rosa, prostituée juive à la retraite et survivante d'Auschwitz. Dans ce milieu apparemment absurde se déroule une histoire d'amour et de réconciliation entre peuples et religions qui, dans la tradition de Victor Hugo, se veut une réplique aux esprits bornés, racistes et sectaires.

Fait tout aussi important, lorsque l'heure a sonné en juin 1940, et ayant à choisir entre la collaboration du maréchal Pétain et la résistance du général de Gaulle, Gary a abandonné son escadre aérienne à Bordeaux et a rejoint les forces militaires qui ont suivi de Gaulle à Londres. De là, il a participé à la guerre avec distinction (il fut décoré de la Croix de guerre et de la Croix de la Libération), en tant que navigateur-bombardier à bord des avions britanniques organisés dans une unité des Forces aériennes françaises libres.

L'histoire de sa vie telle qu'il l'a décrite était compliquée et parfois réinventée. Toutefois, Gary a incarné le bon Français dévoué aux meilleures valeurs de son pays ainsi qu'à son devoir de citoyen. Comme le raconte sa biographe Myriam Anissimov, «il se plaisait à dire: "Je n'ai pas une goutte de sang français, mais la France coule dans mes veines"». Comme adolescent, «il n'avait qu'une aspiration, devenir français, porter un nom français, se fondre dans la nation. Ne plus être un immigré...» Malheureusement, la nation n'était pas toujours accueillante pour les immigrants juifs de 1928 — aujourd'hui, elle ne l'est toujours pas envers les Arabes devenus français par choix ou par urgence économique.

Voici donc, monsieur le président, votre salut pour sortir du piège de l'identité nationale. Romain Gary au Panthéon, à côté de Victor Hugo. Les Misérables de la France seraient fiers de vous. Le Pen et Aubry n'y trouveraient rien à redire.

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John R. MacArthur est éditeur de Harper's Magazine, publié à New York. Sa chronique revient le premier lundi de chaque mois.

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